«On ne veut pas de nous.» Christiane Feral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux (CNB), a tout d’une femme posée et mesurée. Mais en tant que représentante de la profession d’avocat, elle est à deux doigts d’enfiler son gilet jaune. Vendredi midi, à l’occasion des proverbiaux «vœux à la presse» des robes noires, elle a eu l’occasion de prononcer des mots entre deux coupes de champagne: «Il y a quelques mois, on souriait quand nous dénoncions la rupture du cordon entre le peuple souverain et sa justice.» Les avocats, on le sait, sont vent debout contre la réforme judiciaire présentée par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. «Une réforme voulue par la Place Beauvau», grincent-ils. Et surtout très remontés par l’absence totale de concertation avec leur ministère de tutelle.

Ils manifesteront derechef mardi prochain, avec le renfort de syndicats de magistrats. Mais leur volonté de s’associer au grand débat national s’est vue opposer une fin de non-recevoir.«Il y sera question de justice sociale, mais pourquoi ne pas y ajouter la justice tout court ? Nous ne sommes pas corporatistes, mais il est incroyable que le thème ne soit pas au débat», déplore Marie-Aimée Peyron, bâtonnière de l’ordre parisien des avocats. «Nous ne voulons pas d’un débat administratif ou technicien, mais d’un véritable débat politique», renchérit Christiane Feral-Schuhl. Une lettre ouverte, cosignée par 25 000 avocats, adressée au président de la République, n’a, pour l’heure, obtenu aucune réponse.

Les avocats sont intarissables sur diverses mesures liberticides à leurs yeux contenues dans le projet de loi de réforme de la justice. Et les robes noires parisiennes, peu concernées par la réforme de la carte judiciaire (rapprochement des tribunaux d’instance et de grande instance, au risque d’une désertification dans certaines régions), se disent solidaires des provinciaux. La bâtonnière parisienne n’hésite pas à surfer sur la problématique gilet jaune, pour mieux se faire entendre : «L’un d’entre eux, jugé sans avocat, s’est pris 28 mois de prison, lors d’une audience s’achevant à trois ou six heures du matin… Dans ces conditions, peut-on encore juger en toute clairvoyance ?»

Renaud Lecadre