Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au macroscope 3
Vu au macroscope 3
  • Petite revue d'actualités sur des sujets divers: géopolitique, économie, santé etc.... Le titre est inspiré de l'ouvrage de Joël de Rosnay : "le macroscope - Vers une vision globale" - 1er février 1977 Une introduction à l'étude des systèmes complexes.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
24 janvier 2019

[RussEurope-en-Exil] Crise de la représentativité, crise de la démocratie par Jacques Sapir

24.janvier.2019 // Les Crises

La crise de la représentativité politique est aujourd’hui flagrante. Elle conduit à faire émerger tant le Référendum d’Initiative Citoyenne que l’exigence d’une forte dose de proportionnelle dans le système électoral français comme des revendications majeures du mouvement des Gilets Jaunes, revendications qui semblent largement soutenue aujourd’hui par l’opinion publique. Ces deux mesures, l’introduction du RIC et de la proportionnelle, peuvent contribuer à améliorer notre démocratie. Il convient de signaler que, dans son principe, le RIC n’est nullement une « révolution » mais une extension de la procédure référendaire[1], qui existe et a été développée dans la constitution de la Vème république[2], et qui existait sous la IVème et sous la IIIème République. Les débats ont été nombreux à son sujet[3]. Il est donc important qu’elles soient introduites le plus vite possible. Mais, il faut faire attention à ne pas les transformer en panacée. La démocratie ne se réduit pas à un système électoral, et aucun système n’est par ailleurs sans défaut. De plus, ces deux mesures ne se situent pas au même niveau. Le RIC touche ainsi véritablement aux problèmes de fond de l’organisation du système politique quant le problème de la proportionnelle n’implique qu’une mutation possible (et peut être souhaitable) des formes. Il faut donc réfléchir aux dynamiques qui sont le propre de la « démocratie parlementaire ».

Manifestants “Gilets Jaunes” avec une pancarte réclamant le Référendum d’Initiative Citoyenne (Photo by Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP)

Crise de la représentativité, crise de la démocratie ?

La crise de représentativité en France, mais aussi dans de nombreux pays européens, est une évidence. Elle se traduit par une participation de plus en plus faible lors des élections. Mais, n’utiliser que cet indicateur de la participation est aussi réducteur. La crise de représentativité se traduit par un sentiment d’aliénation des citoyens d’avec le système politique. Au lieu et en place du « bien commun » et de la « chose publique » (la Res Publica) monte une distinction entre « eux » et « nous ». Le premier terme, « eux », tend à désigner les représentants du « système », autrement dit un ensemble incluant le personnel politique, mais aussi les hauts fonctionnaires et les journalistes, qui se constituent, dans une vision grandissante au sein de la population, comme en surplomb, puis en extériorité avec cette dernière, qui se reconnaît dans le « nous ».

Cette représentation a plus qu’un fond de vérité. Les conditions d’existence, et ces dernières ne se limitent pas à des questions de revenus – souvent indécents il convient de le dire – mais incluent aussi l’environnement de vie, les lieux fréquentés, de ceux que l’on désigne comme « eux » divergent massivement de celles de la majorité de la population. Quant cette distinction prend la forme de l’évidence (comme ce fut le cas dans les régimes de type soviétique), l’autorité n’est plus légitime et le système s’effondre, que ce soit pacifiquement ou dans des convulsions violentes. Il faut le savoir, aucune démocratie, ce fameux pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple pour reprendre la phrase d’Abraham Lincoln[4], ne peut survivre à une telle division de la société.

La crise de la représentativité est donc, aussi, une crise de la démocratie. Cette crise de la démocratie se manifeste aussi par des dénis de démocratie de plus en plus fréquents, de plus en plus manifestes, tel la violation du résultat du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen de 2005 qui eut lieu avec l’approbation par le congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis) du fameux « Traité de Lisbonne ». C’est pour cela tous ceux qui traitent de la crise de représentativité comme d’un phénomène superficiel, que des réformes de procédures pourraient à elles seules résoudre, se trompent. Non qu’il ne faille réformer certaines procédures. Tel est le sens du débat sur le RIC et sur l’introduction de la proportionnelle. Mais c’est une dangereuse illusion que de croire que de telles réformes épuiseront le chantier d’une refondation de la démocratie.

Pouvoir du peuple ou de ses mandatés ?

Quand nous évoquons la démocratie, nous parlons tout à la fois, et sans nécessairement distinguer, d’un concept théorique et d’une réalité historiquement située. Les régimes que nous appelons « nos démocraties », et là on se situe délibérément dans un contexte, historiquement et socialement précis, sont le produit d’une longue évolution. Les Etats qui les constituent sont des systèmes de domination, mais ce sont des systèmes stabilisés de domination consentie. L’autorité y est dite « légitime ». Max Weber à ce propos distingue trois sources de légitimité : « …il existe trois fondements de la légitimité. Tout d’abord l’autorité de l’« éternel hier », c’est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l’habitude enracinée en l’homme de les respecter. Tel est le « pouvoir traditionnel » que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l’autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu (charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d’un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu’elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l’héroïsme ou d’autres particularités exemplaires qui font le chef. C’est là le pouvoir « charismatique » que le prophète exerçait, ou – dans le domaine politique – le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d’un parti politique. Il y a enfin l’autorité qui s’impose en vertu de la « légalité », en vertu de la croyance en la validité d’un statut légal et d’une a compétence » positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d’autres termes l’autorité fondée sur l’obéissance qui s’acquitte des obligations conformes au statut établi »[5].

On reconnaît les figures de la tradition, du charisme et de l’ordre légal. Weber analyse comment dans les démocraties de la fin du XIXème siècle et de début du XXème c’est l’articulation de la légitimité charismatique et de légitimité découlant de l’ordre légal qui normalement s’impose. Cette articulation permet la manifestation du couple Auctoritas et Potestas[6]. Dans ce système, la figure de l’homme politique professionnel se détache[7]. La complexité des Etats modernes et celles des systèmes d’administration, tendent à spécialiser l’activité politique. Cette spécialisation tient non seulement à la complexité des processus et des procédures, mais aussi à la nécessité d’y accorder une attention prioritaire, et l’on sait sur la capacité d’attention est une ressource rare. Il convient ici de citer Herbert Simon : “Dans un monde où l’attention est une ressource rare, l’information peut être un luxe coûteux, car elle détourne notre attention de ce qui est important vers ce qui est secondaire”[8]. Cette spécialisation implique et nécessite des formes de délégation, de représentation, du pouvoir du peuple. Cette nécessité a aussi d’autres causes. Nous sommes contraints de vivre dans des sociétés profondément hétérogènes[9]. Cette hétérogénéité invalide la possibilité, pour une période historique indéterminée, d’un système « simple », telle que Lénine l’avait imaginé dans l’Etat et la Révolution[10]. Dès lors se pose le problème de l’articulation entre le pouvoir du peuple et celui de ses représentants, avec les questions particulières du mandat (impératif ou pas) et du possible référendum révocatoire.

La professionnalisation de la vie politique et les conditions de cette dernière

Il faut aussi poser la question de la « disponibilité matérielle » de l’homme politique professionnel[11]. Weber consacre de longues pages à analyser les origines sociales, les professions particulières, qui permettent à des femmes et des hommes (et historiquement ce furent d’abord des hommes) de se consacrer à plein temps à la politique[12]. Il en conclut que cette disponibilité peut conduire à une ploutocratie (seuls les plus riches peuvent se consacrer uniquement à la politique) ou, si l’on veut une participation des « plébéiens » à la politique, se pose alors la question de leur rémunération et du fait que cette dernière peut devenir une motivation importante, voire fondamentale à l’action politique[13]. Ces deux dynamiques, celle qui tend à faire de la politique la chasse gardée de ceux qui n’ont pas besoin de gagner leur vie et celle qui fait de la politique une source de rémunérations qui invite à faire de la politique non plus pour ce qu’elle est mais pour ce qu’elle rapporte, sont devenues aujourd’hui insupportables.

Cependant, là encore, il convient de ne pas lâcher la proie pour l’ombre. Si des niveaux de rémunération tels ceux des commissaires européens, voire de certains présidents d’autorités indépendantes en France scandalisent à juste titre, le fait d’assurer l’indépendance financière d’un représentant du peuple afin de le soustraire à la tentation de la corruption n’apparaît nullement scandaleux. Le véritable problème est plus alors celui de la transparence des revenus et des liens que le représentant peut avoir avec certains de ses collaborateurs. Ce problème devient un problème politique et non plus seulement technique quand on considère que s’est constitué, au fil des années, un système qui pourrait être apparenté à une forme de corruption avec les revenus et les avantages indécents qui caractérisent certaines fonctions officielles et semi-officielles. Notons, d’ailleurs, que ces revenus ne sont pas seulement l’apanage des personnes faisant de la politique ou de la haute administration (directement ou indirectement par la monétisation de leur carnets d’adresses et de leurs relations), mais qu’ils concernent aussi ceux qui sont devenus, dans les faits, les auxiliaires du système politique, soit les journalistes (ou plus précisément les éditorialistes). La consanguinité, au figuré et parfois au propre, entre ces deux milieux pose aujourd’hui un problème politique réel.

Alors, s’il n’est ni réaliste ni raisonnable d’exiger des hommes (et des femmes) politiques qu’ils fassent vœux de pauvreté, il convient néanmoins de mettre bon ordre à certains abus évidents qui aujourd’hui ont des effets délétères sur la démocratie. Le véritable populisme n’est peut-être pas dans le discours de tel ou tel parti mais bien plus surement dans l’invocation perpétuelle de la fameuse « société civile » comme source de renouveau démocratique alors que bien souvent cela ne sert qu’à ouvrir les portes du pouvoir à des lobbyistes, qu’ils soient officiels ou officieux. L’introduction de « statuts », comme celui du lobbyiste (qui existe aux Etats-Unis et qui interdit à ces derniers de faires de la politique), ou comme ce que pourrait être un hypothétique statut de l’éditorialiste, permettrait sans doute d’assainir certains marigots fétides de la politique française.

Le peuple et le législateur : la question de la souveraineté

Cette mise en perspective des problèmes existants permet de mieux percevoir ce que pourrait être la fonction du RIC et de l’introduction d’une dose importante de proportionnelle dans le système politique français.

Le référendum existe dans la constitution française[14]. La question posée par le RIC est donc d’élargir son initiative aux citoyens, soit parce qu’ils considèrent qu’une question n’est pas traitée par le législateur, soit parce qu’ils considèrent qu’une question a été mal traitée par ce dernier. Sous cette forme, le RIC est effectivement une mise en cause, indirecte ou directe, du législateur. Mais, cette mise en cause n’est que la conséquence de la primauté de la souveraineté du peuple sur celle du législateur. De fait, il y a une tendance dans les institutions actuelles à considérer que le législateur constituerait un « peuple juridique » qui pourrait s’opposer et contrôler le peuple politique. C’est l’une des dynamiques de l’ordre légal décrit par Weber, et une conséquence du primat de la légalité sur la légitimité[15]. Ce n’est pas nouveau.

Ainsi, dans la Rome antique, selon Claudia Moatti, Cicéron construisit un discours dans lequel les magistrats représentaient un « peuple » juridique distinct du peuple social[16]. Le double processus de fétichisation de la chose publique et de réification du peuple dont parle Claudia Moatti était ainsi achevé. Cela le conduisit à considérer que tous ceux qui s’élevaient contre le Sénat étaient des « séditieux » et qu’il fallait mener contre eux une guerre à outrance[17]. La similitude avec le discours des dirigeants français dans la crise des Gilets Jaunes est ici frappante. Le vocabulaire de la guerre emplit alors l’espace civique. Cicéron utilise aussi dans De re publica la métaphore de la tutelle[18], une métaphore qu’il reprendra dans De officis[19]. Le peuple est donc considéré comme le fils mineur du Sénat, dans un parallèle avec le droit privé et dans une référence aux pouvoirs du paterfamilias romain. Mais un autre parallèle vient alors à l’esprit. Dans ce « peuple » mis en tutelle par l’élite sénatoriale on peut retrouver comme un écho lointain de la volonté de mise en tutelle du peuple actuel par « ceux qui savent », à la condition que ces derniers fassent preuve de « pédagogie ».

Qui détenait donc réellement la souveraineté ? C’est une question qui, elle aussi, se pose aujourd’hui. Pourtant, aux origines de la république romaine la question semblait tranchée. Mario Bretone montre que la volonté du peuple (iussum populi) s’affirmait à travers l’élection de magistrats (les questeurs) dès l’époque royale[20]. Cette question devient cependant centrale dans les débats politiques du IIème siècle avant notre ère[21]. La question, et Claudia Moatti le rappelle[22], fut posé lors de l’élection de Scipion Emilien au consulat, alors qu’il se présentait en réalité à l’édilité. Le peuple pouvait-il s’affranchir de la Lex villia annalis qui fixait le cursus honorum ? De fait, le peuple était dit « maître des comices » autrement dit maître de l’ordre du jour des assemblées populaires[23]. Le concept de la « souveraineté populaire », que certains tiennent pour « inventé » par la Révolution française, existait donc bel et bien à Rome, et se traduisait par un contrôle populaire sur les magistrats[24]. Il y avait donc bel et bien un discours établissant la primauté du « peuple » sur le Sénat, comme dans les cas où c’était le « peuple » qui décidait qu’un homme pouvait être élu à des fonctions plus hautes que celles qu’ils briguait. On le voit, le pouvoir des représentants du peuple ne saurait être tenu pour égal, et encore moins pour supérieur, à celui du peuple.

Les conditions d’usage du RIC

Cela tranche la question sur le RIC. Ce dernier peut donc être mise en œuvre, moyennant une campagne électorale, moyennant aussi le fait que l’initiative du RIC puisse être le fait d’un groupe de citoyens, et l’expérience de la Confédération Helvétique incite à fixer à 1 million le nombre de signatures qu’il faudrait recueillir. Le RIC ne doit donc pas avoir de limitations, car la souveraineté du peuple est totale ou n’existe pas. La seule limitation que l’on puisse concevoir est celle du délai entre deux RIC sur un même sujet. Une question tranchée par référendum (qu’il soit d’initiative citoyenne ou du Président ou du Parlement) ne saurait être soumise à un autre référendum sans que le contexte n’ait changé, et cela peut conduire à accepter un délai de 5 ans.

Reste le problème d’une hypothétique révocation des députés et du Président de la république. Cela nous ramène au problème de l’attention, et aux travaux de Herbert Simon déjà évoqués. De fait, le retour permanent d’une question, le fait qu’une décision puisse être en permanence remise en cause, n’est pas la démocratie. Ou, plus précisément, cela entraine une saturation des capacités d’attention des citoyens[25]. Il faut donc des règles limitant la possibilité de recours perpétuel contre une élection ou une décision. Mais, ces règles de limitation ont elles aussi leurs inconvénients. Certaines questions, parce qu’elles reflètent soit une division très profonde des citoyens, soit une évolution de l’opinion de ces derniers, ne peuvent être considérées comme réglées par une élection ou une loi. La question de l’esclavage aux Etats-Unis est typique de cela[26].

Un RIC révocatoire devrait donc être admis, mais dans de certaines conditions. Tout d’abord, aucun représentant du peuple, du maire au Président, ne pourrait être mis en cause par une procédure de cette sorte dans le deux premières années de son mandat. Ensuite, cette mise en cause ne pourrait être faite QUE dans le cas d’une indignité notoire et avérée.

Prenons par exemple le cas d’Emmanuel Macron. Un RIC demandant sa révocation ne pourrait ici avoir lieu avant le printemps 2019. Qui plus est, ce RIC ne pourrait pas avoir comme motif la politique du Président (quoi que l’on en pense) mais son comportement. Il en irait de même pour un député. Cela permettrait en un sens d’encadrer l’usage du RIC à des fins révocatoires. Le quorum de signatures devrait être aussi différent de celui utilisé pour le RIC dans d’autres conditions, et pourrait être fixé à 10% du corps électoral.

Quelle réforme du mode de scrutin ?

La question du mode de scrutin à la proportionnelle ne se situe nullement au même niveau de principes que la question du référendum et du RIC. Elle n’est pas pour autant négligeable. Rappelons que, depuis l’instauration de la IIIème République, et même sous la Vème République, les modes de scrutin ont fortement variés[27]. Le mode aujourd’hui utilisé, le « scrutin uninominal d’arrondissement majoritaire à deux tours » n’a pas, et de loin, constitué une règle intangible. La question de la logique de coalition (induite par les deux tours) peut fausser le résultat. Mais, l’adoption d’un scrutin majoritaire à un tour (comme en Grande-Bretagne) peut aussi conduire à des écarts importants entre le nombre de votes et le nombre de députés.

La question du mode de scrutin est complexe en ceci que ce mode doit allier une bonne représentativité de l’opinion ET doit permettre de dégager des majorités. Le souvenir de ces parlements où des groupes très minoritaires exerçaient une influence déterminante du fait de leur capacité à faire et défaire des majorités est suffisamment connu ; je n’y reviens pas. De fait, dans de nombreux pays où existe ce mode de scrutin, des formes de principe majoritaire (prime en sièges au parti ou à la liste ayant eu le plus de voix) ont été introduites. Ce qui montre que le principe de la proportionnelle ne résout pas tous les problèmes…

Mais, ce n’est pas le seul problème. Dans un scrutin à la proportionnel, ce sont les directions des partis qui décident de qui sera député. Et cela ne va pas sans abus, autoritarisme des uns, flagornerie des autres. La constitution des listes pour les élections européennes nous en fournit un exemple. Inversement, le scrutin d’arrondissement a été accusé historiquement de conduire à un « localisme » vidant l’élection législative de son sens[28]. De plus, le scrutin d’arrondissement soulève l’épineux problème de la définition des circonscriptions[29], et l’on sait qu’entre une circonscription rurale et une urbaine le nombre d’électeurs peut fortement varier, avec les accusations de « charcutage électoral » qui se font jour à chaque fois que l’on veut modifier ces circonscriptions. Aucun mode de scrutin n’est parfait. Aujourd’hui, cependant, se dégage une majorité pour considérer que le manque de représentativité de l’Assemblée nationale est un problème majeur.

Le passage au mode de scrutin à la proportionnelle peut se faire de différentes manières. L’une, possible, serait de diviser l’Assemblée nationale en deux collèges égaux, l’un élu à la proportionnelle, sur liste nationale et l’autre (dans des circonscriptions agrandies) au scrutin majoritaire à un tour. Une autre manière, impliquant de réformer le Sénat, serait de passer à la proportionnelle pour la totalité des députés tandis que l’élection au Sénat se ferait, de manière directe et non dans le système actuel, dans le cadre de circonscriptions locales. Ce système impliquerait de donner au Sénat les mêmes prérogatives qu’à l’Assemblée.

La question du vote « blanc »

Le problème peut-être le plus directement posé est celui des effets pervers des « coalitions » induites par le système à deux tours. Il aboutit à donner à des partis qui ne sont pas majoritaires mais qui dominent relativement leur « camp » un contrôle sur un électorat bien plus étendu que celui auxquelles ils peuvent prétendre. Ce système induit aussi un « vote stratégique » où l’on vote plus « contre » que « pour ». On peut aboutir, dans certains cas, à ce qu’une majorité d’électeurs ne se reconnaissent ni dans l’un ni dans l’autre des candidats. Une des revendications du mouvement des Gilets Jaunes, mais une revendication existant aussi depuis fort longtemps, était la reconnaissance du « vote blanc ». Le « vote blanc » se distingue de l’abstention en cela qu’il montre que l’on participe au processus mais que l’on refuse les candidats en présence. Il est clair que cette reconnaissance devrait être, au minimum, acquise. Mais, elle ne peut suffire.

Une solution possible à ce problème, dans les cas où le système à la proportionnelle ne peut s’appliquer (comme dans celui de l’élection présidentielle) serait d’introduire un bulletin « contre tous » au deuxième tour. Ce système, qui existait en Russie jusqu’en 2006[30], a été proposé en France par Thomas Guénolé, et l’on ne peut qu’y souscrire[31]. Si le nombre de voix se portant sur ce bulletin excédait celui combiné des deux candidats en lice, alors l’élection serait annulée et serait recommencée avec interdiction pour les candidats sanctionnés dans ce vote de se représenter à la nouvelle élection. Un tel système aurait l’avantage de contraindre les candidats à valoriser leurs programmes et à ne pas compter sur la répulsion que pourrait susciter l’autre candidat pour se faire élire.

On le voit, les solutions sont multiples. Surtout, elles n’épuisent pas la question de la représentativité et de la démocratie.

D’autres questions sont extrêmement importantes, comme la position dominante de quelques oligarques dans le domaine de la presse (avec pour conséquence une décrédibilisation massive des journalistes), dans le domaine économique, mais aussi celle du cumul des mandats et du cumul des rémunérations. De fait, la possibilité d’un cumul des mandats de député et de maire, mais non de cumul des rémunérations, n’apparaît nullement scandaleuse.

 

 

Le mouvement des Gilets Jaunes a permis de mettre, ou de remettre, sur le devant de la scène une série de questions qui sont toutes légitimes. Il faut comprendre que, derrière la question de la représentativité gît celle de la démocratie. C’est dire l’importance de ces questions. Le gouvernement cherche à les dissoudre dans le « grand débat » pour se contenter de doses homéopathiques de réforme. Mais, on ne pourra pas revenir en arrière. Il est donc important que l’on puisse librement discuter et proposer sur ces sujets. Très clairement, ce qui s’impose est bien une refonte considérable de notre constitution.

 

Notes

[1] Favoreu L., Gaia P., Ghevontian R., Mélin-Soucramanien F., Roux A., Oliva E., et Philip L., « 6 novembre 1962 – Loi référendaire », dans Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, coll. « Les Grands arrêts », 2013.

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000019241004&cidTexte=JORFTEXT000000571356&categorieLien=id&dateTexte=vig

[3] Conac G., « Les débats sur le référendum sous la Vème République », in Pouvoirs n°77 – Le référendum, avril 1996, p.97-110

[4] Lincoln A., The Gettysburg Address, 19 novembre 1863. Voir Barton, William E. Lincoln at Gettysburg: What He Intended to Say; What He Said; What he was Reported to have Said; What he Wished he had Said. New York, Peter Smith, 1950.

[5] Weber M., Le savant et le Politique, Paris, UGE, 1963.

[6] Voir Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.

[7] Weber M., Le savant et le Politique, p. 108-109.

[8] Simon H.A., “Rationality as a process and as a Product of thought” in American Economic Review, vol. 68, n°2, 1978, pp. 1-16, p. 13.

[9] Sapir J., K Ekonomitcheskoj teorii neodnorodnyh sistem – opyt issledovanija decentralizovannoj ekonomiki (Théorie économique des systèmes hétérogènes – Essai sur l’étude des économies décentralisées) – traduction de E.V. Vinogradova et A.A. Katchanov, Presses du Haut Collège d’Économie, Moscou, 2001.

[10] Lénine V.I., L’État et la Révolution, édition en langues étrangères, Moscou, 1951, 132 p.

[11] Weber M., Le savant et le Politique, p. 112.

[12] Weber M., Le savant et le Politique, p. 124 à 128.

[13] Weber M., Le savant et le Politique, p. 113-115.

[14] https://www.conseil-constitutionnel.fr/evenements/le-referendum-sous-la-ve-republique

[15] Primat dont les conséquences sont analysées dans Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, Cambridge University Press, Londres-New York, 2006 et Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991.

[16] Moatti C., Res publica – Histoire romaine de la chose publique, Paris, Fayard, coll. Ouvertures, 2018, p. 199.

[17] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 222-223.

[18] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 237.

[19] Cicéron, Des Devoirs [De Officiis], Livre-1, Trad. M. Testard, 1.12.85.

[20] Bretone M., Technice i ideologie des giuristi romani, Naples, EDI, 1975.

[21] Bretone M., Technice i ideologie des giuristi romani, op.cit., p. 17.

[22] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 81.

[23] Astin A.E., Scipio Aemilianus, Oxford, Oxford University Press, 1967.

[24] Wiseman T.P., « The Two-Headed State. How Romans explained civil wars » in Breed B.W., Damon C. et Rossi A. (ed), Citizens of Discord : Rome and its civil wars, Oxford-New York, Oxford University Press, 2010, p. 25-44.

[25] La question est traitée dans Przeworski A., “Democracy as a contingent outcome of conflicts”, in J. Elster & R. Slagstad, (eds.), Constitutionalism and Democracy, Cambridge University Press, Cambridge, 1993, pp. 59-80

[26] Holmes S., “Gag-Rules or the politics of omission”, in J. Elster & R. Slagstad, Constitutionalism and Democracy, op.cit., pp. 19-58.

[27] Le Béguec, G., « La représentation proportionnelle : cent ans de controverses » in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, Année 1986, n° 9 pp. 67-80

[28] On se souviendra de la formule, sous la IIIème République, lors des élections de 1910 «..du peu que pèse le plus souvent la valeur personnelle dans l’atmosphère des mares stagnantes du scrutin d’arrondissement où tout est subordonné à de mesquines ou égoïstes préoccupations », Le Temps – 25 avril 1910.

[29] Erhard T., Le découpage électoral sous la Ve République, Paris, éd. Garnier, 2017.

[30] Raviot, J-R, « La démocratie russe », Amnis [Online], 1/2001, https://journals.openedition.org/amnis/196?lang=en

[31] http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/03/13/31001-20150313ARTFIG00203-si-le-vote-est-obligatoire-il-faut-creer-un-bulletin-vote-contre-tous.php

Publicité
Commentaires
Publicité
Newsletter
Archives
Pages
Publicité