Le député centriste Charles de Courson accuse le gouvernement de " se laisser séduire par la tentation autoritaire"
Charles de Courson : « La loi anti-casseurs est inutile et dangereuse »
ENTRETIEN. Vent debout contre le texte, le député centriste de la Marne accuse le gouvernement de « se laisser séduire par la tentation autoritaire ».
Propos recueillis par Olivier Pérou
« On croit que je ne m'intéresse qu'aux finances publiques et que je suis un cœur de pierre, mais je sais me dresser contre les dérives autoritaires. » S'il n'est pas de ces députés avides des plateaux télé, Charles de Courson aura marqué ces derniers jours les esprits – et l'hémicycle – en mettant en garde contre le projet de loi anti-casseurs. « C'est la dérive complète ! On se croit revenu sous le régime de Vichy ! » a-t-il lancé à l'Assemblée nationale. Lui, le petit-fils de résistant, n'a de mots assez durs contre le texte adopté en première lecture à l'Assemblée nationale qui laisse la main au parquet et aux préfets pour procéder à toutes les mesures d'investigation (interceptions téléphoniques, géolocalisations et perquisitions). Des mesures jusque-là dévolues au juge d'instruction.
Dans son viseur, le ministre Christophe Castaner. Charles de Courson se jure en « homme libre comme [son] grand-père », le marquis Léonel de Moustier. « Le seul député de droite qui vota contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940 », martèle-t-il, des sanglots dans la voix au souvenir de l'illustre aïeul.
Le Point : Vous avez dressé un constat sévère contre la loi dite anti-casseurs, en allant jusqu'à la comparaison avec le gouvernement de Vichy. N'êtes-vous pas allé trop loin ?
Charles de Courson : Je ne suis pas le seul à contester les fondements du projet Retailleau. D'autres l'ont fait, y compris chez La République en marche et les Républicains. Avec cette loi, on transfère aux préfets des pouvoirs que détiennent les juges. On déshabille l'autorité judiciaire pour combler les manquements de l'exécutif dans le maintien de l'ordre. Nous touchons donc à l'état de droit, et c'est proprement inacceptable ! Nous transformons le préfet en juge, mais ce n'est pas à lui de dire si telle ou telle personne peut ou ne peut pas manifester sur la seule base du soupçon. Le préfet pourrait ainsi définir des périmètres de sécurité d'une manifestation tout seul dans son coin, sous l'autorité et l'aval du ministère de l'Intérieur et sans que la justice ne soit consultée. Ce ne sont pas eux les défenseurs des libertés publiques, mais la justice ! C'est cela l'état de notre droit. Elle est là mon attaque fondamentale. Si j'ai poussé le trait en évoquant le gouvernement de Vichy, ce n'est pas innocent.
La dernière fois que l'on a transféré les pouvoirs de l'autorité judiciaire à l'autorité administrative, c'était sous Vichy. Ceux qui étaient suspectés d'être résistants étaient internés. Attention, ils n'étaient pas condamnés, mais seulement internés sur, là encore, la seule base du soupçon. Je ne compare pas Christophe Castaner à Pierre Pucheu (le ministre de l'Intérieur du gouvernement de Vichy, NDLR), mais je lui dis : « Votre temps passera monsieur le ministre, peut-être plus vite que vous ne le croyez d'ailleurs, et d'autres vous remplaceront. Qui vous dit qu'il n'y aura pas des velléités autoritaires chez vos successeurs qui joueront de cette loi pour mater l'opposition ? » Tous les gouvernements en difficultés se laissent séduire par la tentation autoritaire, y compris celui-ci.
Nous sommes loin d'un gouvernement autoritaire, non ?
Pardon, mais il se laisse séduire. Cette loi le prouve. Ils tombent dans la facilité des gens qui, en difficulté, tentent de vous expliquer que s'ils ont mal géré les manifestations des Gilets jaunes, c'est qu'ils n'avaient pas les outils juridiques nécessaires. C'est entièrement faux. Christophe Castaner avait avant cette loi tous les outils juridiques disponibles pour sécuriser les manifestations. C'est l'article 78-2-2 du code de procédure pénale pour ce qui concerne les périmètres de sécurité, et l'article L211-13 du code de la sécurité intérieure pour l'interdiction de manifester. C'est ce dernier qui permet déjà aux juges de prononcer une peine complémentaire pour les casseurs condamnés. Il y a donc un problème de fond dans ce texte, mais il y a également une manoeuvre politique nauséabonde. Acculé, le gouvernement reprend un texte de la droite dure au Sénat. Un texte qu'il ne soutenait pas et qu'il défend désormais avec beaucoup de vigueur à l'Assemblée. C'est une manœuvre politicienne nulle et dangereuse. C'est un piège politique dans lequel les députés Les Républicains sont tombés à pieds joints. Je l'ai dit à Éric Ciotti. Quand la popularité d'Emmanuel Macron chute fortement chez les modérés, il est soutenu par la droite la plus dure. C'est un glissement accéléré à droite !
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Il y a eu des manifestations extrêmement violentes ces derniers mois. Voilà des semaines que les policiers sont sur le terrain et sont épuisés. Ne fallait-il pas prendre des mesures exceptionnelles ?
Les bonnes mesures, c'est d'adapter la tactique des forces de l'ordre au style des manifestations. Les casseurs ont pu agir uniquement parce que le ministre de l'Intérieur ne s'est préoccupé que du périmètre entourant l'Élysée. Il a laissé les manifestants violents se mouvoir librement en périphérie de cette zone. Il a eu la même réaction que les généraux de l'armée française en 40 qui se cantonnaient à la ligne Maginot face à une armée allemande mobile. Face à des casseurs mobiles, il faut des forces mobiles capables d'interpeller au cœur des groupes violents. Il lui aura fallu trois manifestations pour comprendre que policiers et gendarmes devaient évoluer et progresser autour des manifestants. Quant à la fatigue de nos policiers et de nos gendarmes, ce n'est pas la loi anti-casseurs qui changera cela. Elle est inutile et dangereuse.
Il est le responsable des débordements ?
Il a sa part de responsabilité, oui. Il n'est pas le seul. Dans l'hémicycle, Jean-Michel Fauvergue (député LREM et ancien patron du Raid, NDLR) se comporte comme un policier, mais il ne l'est plus ! Il est député et représente le peuple. Certains dirigeants des forces de l'ordre rêvent qu'on leur donne un maximum de pouvoirs pour gérer les manifestations. Non, c'est à la justice de donner le cadre. C'est d'ailleurs un autre reproche que je fais au ministre de l'Intérieur : ce n'est un secret pour personne qu'il ne connaissait rien à ce sujet à son arrivée place Beauvau. Mais il est inquiétant de voir qu'il est devenu l'expression des directeurs de la police et de la gendarmerie plutôt qu'un ministre qui donne le ton à son administration avec sa propre autonomie de pensée. C'est aussi la critique que lui fait François Sureau, qui est d'ailleurs un grand ami du président de la République.
Cette loi passera-t-elle le Conseil constitutionnel ?
Je ne donne pas cher de l'article 2 quand les sages l'étudieront. Fort heureusement, il y a un conseil constitutionnel dans ce pays. Manifester est un droit constitutionnel, n'en déplaise au ministre de l'Intérieur. Alors, on me rétorque : « On l'a déjà fait pour les manifestations sportives. » Pardon, mais aller à un match de foot n'est en rien une liberté constitutionnelle ! Dans ce texte de loi qui vient de sortir de l'Assemblée nationale, nous n'avons même pas défini les actes qui permettraient aux préfets de qualifier les individus dangereux et de leur retirer le droit de manifester. Mais où va-t-on ? Cela ne tient pas debout. L'état d'urgence permettait déjà ce genre de mesures, mais il avait pour but de lutter contre le terrorisme. Les Gilets jaunes sont-ils des terroristes ? Bien sûr que non. Arrêtons de délirer. On voit bien là le glissement du gouvernement vers l'autoritarisme, et c'est inadmissible. Je me suis toujours élevé contre ces textes dangereux pour notre démocratie. Je l'ai fait contre la déchéance de nationalité de François Hollande et je continuerai à le faire contre cette dérive.
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Les nombreuses violences, les mots séditieux du Gilet jaune Éric Drouet, cette loi anti-casseurs, les menaces contre les parlementaires, les agressions contre les journalistes… De quel mal souffre la démocratie française en ce moment ?
La démocratie est malade d'une classe politique qui n'a jamais eu le courage de prendre ses responsabilités pour réformer ce pays. Je sais de quoi je parle, voilà 26 ans que je suis élu et que je plaide pour la réforme courageuse. Et à chaque fois, les dirigeants de droite et du centre me rétorquaient : on ne peut pas le faire, on perdra les prochaines élections. Mais enfin, toutes ou presque les majorités sortantes ont été battues, alors ayons le courage de nos actes ! Elle est malade d'une classe médiatique qui n'a pas le courage de se remettre en question et de créer une instance interne à la profession qui permettrait de retirer la carte de presse aux menteurs qui ne respectent pas la déontologie journalistique. Pour revenir à la classe politique, rappelons qu'elle a tué les meilleurs d'entre nous : Raymond Barre, Édouard Balladur, Michel Rocard, etc. Ce sont les politiciens canaillous qui ont éliminé les courageux pour mieux arriver au pouvoir et y rester. Alors, aujourd'hui, la confiance est perdue avec les Français. Beaucoup de nos concitoyens pensent que la classe politique est menteuse et voleuse, or ce n'est pas vrai. Oui, il y a parmi nous 4 à 5 % de crapules, mais il y a bien plus de travailleurs honnêtes qui se battent pour la chose publique.
Cette confiance perdue s'est transformée en vague « dégagiste » lors de l'élection présidentielle de 2017 avec la victoire d'Emmanuel Macron…
(Il coupe). Il faut surtout rappeler qu'Emmanuel Macron a été élu par dépit et non par adhésion. Il a tendance à oublier que son score n'est pas si impressionnant, que le FN a fait 37 % au second tour et que le vote blanc et nul a été historiquement massif aux législatives. Jamais une base électorale n'a été aussi fragile sous la Ve République. Aujourd'hui, le président Macron est victime des mêmes causes qui l'ont amené au pouvoir. Notre démocratie est malade parce qu'elle ne sait plus où elle va, parce qu'elle doute. Ses élus n'ont jamais apporté les réponses aux problèmes de la société. Aujourd'hui, Emmanuel Macron, le gouvernement et la majorité ne répondent pas plus à ces inquiétudes. Voilà pourquoi il passe à l'essoreuse des Gilets jaunes. La décomposition du système politique français n'est pas terminée. Emmanuel Macron ne doit pas l'oublier.
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Qu'attendez-vous de ce grand débat ? Un référendum ?
C'est assez étrange de prendre des décisions en décembre puis de dire un mois plus tard : « Concertons-nous ». Il décide avant de débattre. Qu'est-ce qui peut donc sortir de ce débat ? Quelle synthèse en fera-t-il ? Prendra-t-il de nouvelles mesures en plus de celles de décembre qui ont déjà coûté 10 à 12 milliards. Je suis inquiet de ce grand débat parce qu'il devrait aussi se tenir à l'Assemblée nationale. Or, ce n'est pas le cas. On affaiblit donc un peu plus la démocratie représentative. D'autant qu'on nous parle de référendum, mais il y a une Constitution en France, il y a des règles. On ne peut soumettre à référendum qu'un texte voté en termes identiques par l'Assemblée et le Sénat. Seul un débat parlementaire peut permettre de définir les cadres de ce vote. En effet, on ne répond pas sur la GPA ou sur les problèmes fiscaux comme on répond sur la baisse du nombre de sénateurs. Par ailleurs, je m'interroge : c'est le président de la République en personne qui anime ces réunions. Comment sont sélectionnés les participants ? Personne ne le sait. De fait, il n'y a plus de Premier ministre ni de gouvernement puisqu'un homme seul se retrouve face à ce qu'on appelle le peuple. Ce n'est pas ma conception de la démocratie.
Vous semblez en colère contre ce « nouveau monde » politique.
Ce n'est pas de la colère. Je ne laisse pas mes sentiments m'envahir, mais je dis ceci au nouveau monde : vous finirez pire que l'ancien dont je fais partie. Ils ont cru réinventer le monde, mais vos résultats en 18 mois ne sont guère brillants. Aujourd'hui, vous ne plastronnez plus. Le vieux monde, vous devriez l'écouter un peu plus. Je suis peut-être trop bête, grossier et pas suffisamment technique aux yeux de Gilles Le Gendre, mais je ne méprise pas mes concitoyens. C'est ce qui m'a frappé quand je suis allé à la rencontre des Gilets jaunes sur les barrages. Ils me disaient qu'ils haïssaient Emmanuel Macron. « Il nous méprise », disaient-ils. Pourquoi cette haine ? Quand on suscite la haine, il faut s'interroger sur son comportement. Le président devrait méditer là-dessus.
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