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Vu au macroscope 3
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  • Petite revue d'actualités sur des sujets divers: géopolitique, économie, santé etc.... Le titre est inspiré de l'ouvrage de Joël de Rosnay : "le macroscope - Vers une vision globale" - 1er février 1977 Une introduction à l'étude des systèmes complexes.
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18 février 2019

Ce que le retrait de Syrie de Trump révèle vraiment

 17.février.2019 //  LES CRISES 

 

Une sage décision est accueillie par des dénonciations, de l’obstruction, de vision impériale, et encore plus de dénigrement de la Russie.

Par Stephen F. Cohen

09 janvier 2019 

 

Le président Trump avait tort en prétendant que les États-Unis ont détruit l’État islamique en tant qu’État territorial dans une grande partie de la Syrie – la Russie et ses alliés l’ont fait – mais il a raison en proposant de retirer quelque 2 000 soldats américains de ce pays ravagé par la guerre. Le petit contingent américain ne permet pas de mener un combat décisif ou d’atteindre un objectif stratégique à moins qu’il ne serve à contrecarrer les négociations de paix actuellement en cours sous la direction de la Russie ou à servir de tête de pont pour une guerre américaine contre l’Iran. Pire encore, sa présence représente un risque constant que des militaires américains soient tués par les forces russes opérant également dans cette zone relativement restreinte, transformant ainsi la nouvelle guerre froide en un conflit brûlant, même par inadvertance. Que Trump comprenne ou non ce danger, sa décision, si elle est réellement mise en œuvre – on y résiste farouchement à Washington – rendra les relations américano-russes, et donc le monde, un peu plus sûres.

Néanmoins, la décision de Trump au sujet de la Syrie, associée à son ordre de réduire de moitié les forces américaines en Afghanistan, a été « condamnée », comme l’a rapporté le New York Times, « par toutes les tendances idéologiques », par « la gauche et la droite ». L’analyse de ces condamnations, en particulier dans le New York Times et le Washington Post qui façonnent l’opinion publique et lors des séquences interminables (et largement mal informées) de MSNBC et CNN, révèle une fois encore la pensée alarmante qui est profondément ancrée dans le milieu bipartite américain des médias politiques et de la communication.

Premièrement, aucune initiative de politique étrangère entreprise par le président Trump, aussi sage soit-elle au regard des intérêts nationaux américains, ne sera acceptée par l’establishment. Toute personnalité politique éminente qui le fera sera rapidement et faussement qualifiée, selon l’esprit malveillant du Russiagate, de « pro-Poutine » ou, comme le sénateur Rand Paul, sans doute le seul homme d’État en politique étrangère du Sénat aujourd’hui, d’« isolationniste ». C’est sans précédent dans l’histoire américaine moderne. Même Richard Nixon n’a pas été soumis à de telles entraves de la part de l’establishment sur sa capacité à mener une politique de sécurité nationale pendant les scandales du Watergate.

Deuxièmement, il n’est pas surprenant que les condamnations de la décision de Trump s’accompagnent d’allégations de Russiagate de plus en plus nombreuses, mais non encore prouvées, concernant la « collusion » du président avec le Kremlin. Ainsi, de manière tout aussi prévisible, le Times trouve une source moscovite pour faire dire, des retraits, « Trump est un don de Dieu qui continue à donner » à Poutine. (En fait, il n’est pas clair que le Kremlin soit impatient de voir les États-Unis se retirer de Syrie ou d’Afghanistan, car cela laisserait la Russie seule avec ce qu’elle considère comme des ennemis terroristes communs). Plus près de nous, il y a la nouvelle présidente réélue de la Chambre, Nancy Pelosi, qui, interrogée sur la politique de Trump et du président russe Poutine, a déclaré à Joy Reid de MSNBC : « Je pense que la relation du président avec les voyous du monde entier est épouvantable. Vladimir Poutine, vraiment ? Vraiment ? Je pense que c’est dangereux ». Selon ce raisonnement de « leadership », Trump devrait être le premier président américain depuis FDR [Franklin Delano Roosevelt, NdT] à n’avoir aucune « relation » avec un dirigeant du Kremlin. Et dans la mesure où Pelosi parle au nom du Parti démocrate, celui-ci ne peut pas être considéré comme un parti défendant la sécurité nationale américaine.

Mais, troisièmement, quelque chose de plus large que l’anti-trumpisme joue un rôle majeur dans la condamnation des décisions de retrait du président : la pensée impériale sur le rôle légitime de l’Amérique dans le monde. Les euphémismes abondent, mais si ce n’est pour implorer l’empire américain, que pourrait signifier d’autre ce que David Sanger du New York Times écrit à propos d’un « ordre mondial que les États-Unis ont dirigé pendant les 79 années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale » [en fait 74 ans : 1945- 2019, NdT] et se plaint que Trump réduit « l’empreinte mondiale nécessaire pour maintenir la cohésion de cet ordre » ? Ou lorsque la conseillère à la sécurité nationale du président Obama, Susan Rice, déplore les échecs de Trump dans la « préservation du leadership mondial américain », qu’un éditorial du Times affirme être un « impératif » ? Ou quand le général James Mattis, dans sa lettre de démission, fait écho à la secrétaire d’État du président Bill Clinton, Madeline Albright, et Obama lui-même, en affirmant que « les États-Unis demeurent la nation indispensable dans le monde libre » ? Nous ne pouvons pas être surpris. Cette pensée impériale « mondiale » a façonné la prise de décision de la politique étrangère américaine pendant des décennies – elle est enseignée dans nos écoles de relations internationales – et en particulier pour les nombreuses guerres désastreuses et anti-« ordre » qu’elle a produites.

Quatrièmement, et caractéristique des empires et de la pensée impériale, il y a la valorisation des généraux. La critique la plus répandue et la plus révélatrice au sujet des décisions de retrait de Trump est peut-être qu’il n’a pas écouté les conseils de ses généraux, en particulier ceux du médiocre et maladroit Jim « Mad Dog » Mattis [chien fou, NdT]. Le pseudo-martyre et l’héroisation de Mattis, surtout de la part du Parti démocrate et de ses médias, nous rappellent que le parti avait déjà, dans ses allégations sur le Russiagate, valorisé les agences de renseignement américaines et, ayant pris le contrôle de la Chambre, il a manifestement l’intention de continuer à le faire. L’anti-trumpisme est en train de créer des cultes politiques à l’égard des institutions américaines du renseignement et de l’armée. Qu’est-ce que cela nous apprend sur le Parti démocrate d’aujourd’hui ? Plus profondément, qu’est-ce que cela nous dit au sujet d’une République américaine censément fondée sur un régime civil ?

Enfin, et c’est peut-être tragique, l’annonce par Trump du retrait de la Syrie a été le moment de discuter de la longue alliance essentielle des États-Unis avec la Russie contre le terrorisme international, une Russie dont les capacités en matière de renseignement sont inégalées à cet égard. (Rappelons-nous, par exemple, les avertissements ignorés de Moscou au sujet de l’un des frères qui a fait exploser des bombes pendant le marathon de Boston). Une telle alliance est proposée par Poutine depuis le 11 septembre. Le président George W. Bush l’a complètement ignorée. Obama a flirté avec l’offre mais a reculé (ou a été incité à le faire). Trump a ouvert la porte à une telle discussion, comme il l’a d’ailleurs fait depuis sa candidature à la présidence, mais encore une fois, en ce moment des plus opportuns, il n’y a pas été fait la moindre allusion dans notre establishment politique et médiatique. Au lieu de cela, un impératif de sécurité nationale a été traité comme une « traîtrise ».

Dans ce contexte, il y a le remarquable tweet de Trump du 3 décembre, qui appelle les présidents de la Russie et de la Chine à se joindre à lui pour « parler d’un arrêt significatif de ce qui est devenu une course aux armements majeure et incontrôlable ». Si Trump agit sur cette ouverture essentielle, comme nous devons l’espérer, sera-t-elle aussi traduite par « trahison » – et pour la première fois dans l’histoire américaine ? Si c’est le cas, cela confirmera encore une fois ma thèse souvent exprimée selon laquelle les puissantes forces en Amérique préféreraient tenter de destituer le président plutôt que d’éviter une catastrophe militaire. Et que ces forces, et non le président Trump ou Poutine, sont maintenant la menace la plus grave pour la sécurité nationale américaine.

Stephen F. Cohen est professeur émérite d’études russes et de politique à l’Université de New York et à l’Université de Princeton et rédacteur en chef adjoint de The Nation.

Source : The Nation, Stephen F. Cohen, 09-01-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

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