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Vu au macroscope 3
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  • Petite revue d'actualités sur des sujets divers: géopolitique, économie, santé etc.... Le titre est inspiré de l'ouvrage de Joël de Rosnay : "le macroscope - Vers une vision globale" - 1er février 1977 Une introduction à l'étude des systèmes complexes.
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15 avril 2019

Fake news et populisme : les deux bâtons de parole de la Macronie - Anne-Sphie CHAZEAUD

Philosophe, Anne-Sophie Chazaud analyse la rhétorique de Macron, entre l'instrumentalisation des fake news et la dénonciation du populisme.

On peut le constater mois après mois, jour après jour et de manière accrue en période de crise (ce qui devient quasiment la norme) : la rhétorique du macronisme fonctionne grâce à l’activation ad nauseam de deux stratagèmes idéologiques. La dénonciation perverse des pseudo fake news tout en exploitant soi-même toutes les possibilités offertes par l’absence de transparence et de vérité dans la propagation d’informations, et la dénonciation quasi-hypnotique, pour ne pas dire psychopathologique, du danger populiste.

Ces deux caractéristiques, fake news et polarisation binaire de toute forme de débat, sont réactivées avec toute la virulence requise en cette période pré-électorale pour les Européennes

Reductio ad populum

Cette rhétorique binaire, manichéenne et profondément manipulatoire est celle qui a permis l’accession de LREM au pouvoir et dont celle-ci espère de manière non discrète qu’elle lui en assure le maintien. En désignant certains adversaires politiques comme étant des ennemis et non plus simplement des adversaires, en les stigmatisant comme étant potentiellement fascistes, lépreux, repliés et autres billevesées simplistes, en réactivant constamment à leur encontre le spectre des années 30, en instrumentalisant contre les opposants gilets jaunes la noble cause de la lutte contre l’antisémitisme, en renvoyant dos à dos la FI, le RN et d’une manière générale toutes les expressions politiques de type souverainiste (soit plus de 40% de l’électorat de l’élection présidentielle) au rang de dangereux factieux antirépublicains, en traitant quiconque manifeste son mécontentement ou son soutien au peuple révolté de "complices du pire" (on croyait naïvement que le pire c’était les crimes de Daech, mais on s’était visiblement trompé), le pouvoir et LREM n’ont cessé de faire monter la pression pour ne pas dire l’hystérie obsessionnelle d’un système rhétorique et idéologique qui est le seul sauf-conduit disponible dans cette période de bérézina. Le seul qui puisse faire encore rêver quelques uns au vieux Deus ex machina d’un vote barragiste élimé et râpé jusqu’au fond de culotte.

Ces deux caractéristiques, fake news et polarisation binaire de toute forme de débat, sont réactivées avec toute la virulence requise en cette période pré-électorale pour les Européennes, étant entendu que c’est précisément la question de l’Union européenne dans sa forme et sa dérive actuelles qui incarne tout ce que les défenseurs des peuples et de leur souveraineté entendent combattre et remettre dans le droit chemin d’une organisation réellement inter-nationale (avec le mot "nation" dedans, donc) et surtout réellement démocratique, sociale et protectrice en lieu et place de la structure actuelle qui ouvre les peuples européens aux quatre vents du tout et du n’importe quoi sans la moindre priorité sécuritaire - ni économique, ni sociale, ni migratoire, ni culturelle, ni républicaine, ni rien à part peut-être de temps à autres une législation sur le calibrage des grille-pains ou des tondeuses à gazon.

La réaction du ministre de l’Économie Bruno Le Maire au sujet du projet de Référendum d’Initiative Partagée, prévu par la Constitution, afin de tenter d’enrayer démocratiquement le dépeçage des sites stratégiques français (en l’occurrence la privatisation d’Aéroports de Paris, soit la première frontière du pays) sur fond d’amateurisme, de partis pris idéologiques irréfléchis et d’indifférence au Bien Commun, est à cet égard particulièrement révélatrice : accusant les députés qui sont à l’origine de cette initiative de "faire le jeu des populismes", le ministre macronien active la seule ficelle encore disponible. "Faire le jeu" : non seulement on connaît la chanson, mais surtout il conviendrait peut-être de changer de disque, car le vieux disque est rayé.

En l’occurrence, voici un exécutif qui aura passé des mois à fustiger le mouvement des gilets jaunes et son aspiration peut-être naïve à une démocratie de type plus direct, à se réfugier comme seul rempart derrière la défense de la démocratie représentative, et qui en est réduit à présent à critiquer ces parlementaires (218 de tous bords sauf LREM) lorsque ceux-ci justement exercent leur devoir de vigilance tel qu’il est prévu par la Constitution et en écho avec la bronca dans l’opinion publique suscitée par cette mesure de privatisation dépourvue de morale nationale mais aussi de bon sens. Réduit donc à critiquer la démocratie représentative lorsqu’elle fait précisément œuvre de réconciliation avec l’opinion publique, ce qui est exactement ce que demande le peuple non factieux (contrairement à ce qui a été prétendu) depuis des semaines. Car les Français n’ont pas oublié le fiasco et la gabegie de la privatisation des autoroutes dans cette farce dont ils ont été les dindons payeurs, non plus que le lamentable exemple de dépeçage de l’Aéroport de Toulouse par un groupe chinois peu scrupuleux venu vider les caisses sans souci (et c’est bien naturel) de l’intérêt général français (forcément populiste alors, de toute façon, quelle importance…).

Alors même, rappelons-le, que les sénateurs n’ont fait qu’appliquer avec rigueur les pouvoirs et les devoirs qui leur sont conférés par la Constitution.

Les élus macroniens ont, quant à eux, accusé leurs collègues de l’opposition de toutes les oppositions de "faire de la politique" : eh bien oui, aussi étrange que cela puisse paraître, la démocratie implique qu’il y ait une opposition politique et que celle-ci comme son nom l’indique, fasse de la politique. La politique, faudrait-il rappeler à ces débutants souvent dépourvus de culture en la matière comme à ces vieux briscards de tous bords reconvertis par l’odeur d’une prébende alléchés, n’est pas quelque chose de sale. La politique, faire de la politique, ce n’est pas mal, ce n’est pas sale, on ne va pas en enfer quand on fait de la politique et on n’est pas un nazi parce qu’on est opposé aux postulats idéologiques de LREM (lesquels sont du reste assez limités).

Ce sont les mêmes qui se sont insurgés contre le Sénat parce que le Sénat a fait son travail de façon remarquable dans la sordide affaire Benalla, redonnant de la dignité à un parlement qui s’était en partie humilié de manière ridiculement antidémocratique lors de la Commission d’enquête présidée par la députée marcheuse Yaël Braun-Pivet. Pareillement alors, les élus et le pouvoir ont accusé le Sénat d’avoir "fait de la politique" (péché désormais capital, auquel il faut sans doute opposer la bonne action consistant à ne faire que du business dans la start-up nation). On était à deux doigts de voir les sénateurs accusés d’être de dangereux factieux manipulés par des avocats d’extrême-gauche… Alors même, rappelons-le, que ces derniers n’ont fait qu’appliquer avec rigueur les pouvoirs et les devoirs qui leur sont conférés par la Constitution.

La Macronie défend donc la démocratie représentative à la condition que celle-ci ne représente qu’elle. Curieuse conception.

LREM et les fake news

Dans la période qui s’ouvre, c’est également l’autre jambe de bois du macronisme qui est sérieusement réactivée : la dénonciation des fake news quand on s’aperçoit que LREM en est une pourvoyeuse prolixe. On le sait, le dispositif profondément liberticide qui a été mis en place par le pouvoir a pour objet de contrôler la liberté d’expression notamment sur les réseaux sociaux et notamment en période électorale, sachant qu’on en est arrivé à cette abomination antidémocratique selon laquelle c’est désormais le juge des référés qui viendra en quelques heures statuer sur la Vérité : le juge devient l’arbitre de la Vérité officielle, ce qui en dit par ailleurs long sur la conception de son indépendance et de son impartialité.

Pendant ce temps et sans la moindre vergogne, l’on apprend que la fameuse tête pensante (manifestement un peu vide) du macronisme qu’était Ismaël Emelien trempe avec le reste des conseillers apprentis sorciers de la Macronie dans une sombre histoire de diffusion de fausses informations truquées dans l’affaire Benalla diffusés par des comptes anonymes (anonymat dont Emmanuel Macron a pourtant expliqué qu’ils alimentaient la méchante haine) tandis que la nouvelle porte-parole du gouvernement s’est notamment fait connaître pour avoir reconnu n’avoir aucun problème à "mentir pour protéger le Président".

Ce décalage entre les paroles et les actes, et, pire, cette utilisation perverse d’arguments et d’interdits que l’on s’autorise à soi pour conquérir ou se maintenir au pouvoir ce que l’on dénie aux autres risquent bien de devenir particulièrement dérangeantes pour les citoyens, qui, contrairement à ce qu’en pense la Macronie, savent éclairer leur jugement et ne sont pas aussi manipulables qu’elle semble le croire ou l’espérer.

Sur ces entrefaites, une enquête fournie par Médiapart basée sur le travail du chercheur Baptiste Robert dévoile ce que tout le monde pouvait constater de manière intuitive depuis des mois sur les réseaux sociaux : l’hyperactivité de trolls macroniens, de comptes obscurs, anonymes et propagandistes. Chacun peut d’ailleurs le constater depuis quelques jours : les réseaux sociaux, les commentaires sur les sites de presse relayant des analyses critiques du macronisme ou opposées à l’UE font désormais systématiquement l’objet d’attaques d’une rare virulence, comme si soudain des lectorats entiers s’étaient métamorphosés par l’opération du Saint-esprit, étrillant les opposants à LREM.

Voici ceux-là même qui s’étaient ridiculisés en invoquant de façon mythomaniaque pendant l’Acte 1 de l’affaire Benalla de prétendus bots russes à la solde de Poutine avec le scandale de DisinfoEU qui avait en outre abouti à ficher des opposants politiques, pris la main dans le pot de confiture. Qu’à cela ne tienne, la rhétorique est bien huilée et l’idéologie propagandiste, comme toutes les idéologies propagandistes au pouvoir, n’ont pas besoin de passer par l’épreuve du réel. Au pire, on change le réel. Le président Macron déclarait à Souillac sur ce sujet de l’anonymat et de la méchante haine des réseaux sociaux qu’il fallait savoir "d’où les gens parlent et pourquoi ils disent les choses". Quel dommage que ce principe inquisiteur ne s’applique pas d’abord à ceux qui sont en sympathie ou directement impliqués dans l’exercice du pouvoir…

Personne enfin n’est assez dupe pour penser qu’il soit possible de gouverner dans le mythe nocif, naïf et lui-même mensonger de l’hyper transparence. Personne ne doute qu’il faille parfois requérir sinon au mensonge du moins à une forme utile de dissimulation. Il n’est pas même besoin d’avoir relu son petit Machiavel de poche pour savoir cela. Pourtant, ce qui est extrêmement gênant dans ces pratiques propres à la Macronie, c’est la dénonciation obsessionnelle chez les autres de ce qu’elle pratique constamment elle-même.

Ce décalage entre les paroles et les actes, et, pire, cette utilisation perverse d’arguments et d’interdits que l’on s’autorise à soi pour conquérir ou se maintenir au pouvoir ce que l’on dénie aux autres risquent bien de devenir particulièrement dérangeantes pour les citoyens, qui, contrairement à ce qu’en pense la Macronie, savent éclairer leur jugement et ne sont pas aussi manipulables qu’elle semble le croire ou l’espérer.

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