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16 octobre 2019

Jacques SAPIR - MACRON, LA LAÏCITE ET LA QUESTION DE L’ISLAM

Le 16/10/2019   //    facebook.com/jacques.sapir

MACRON, LA LAÏCITE ET LA QUESTION DE L’ISLAM

Le discours d’Emmanuel Macron le jeudi 10 octobre en l’honneur des policiers victimes du tueur islamiste a ouvert une séquence qui a remis, volens nolens, la question de l’islamisme, et plus généralement les questions relatives tant à la religion musulmane qu’aux musulmans (deux choses qu’il convient de distinguer) sous les feux de l’actualité. L’attitude du conseiller régional du RN Julien Odoul s’inscrit naturellement dans cette séquence. Mais, on peut aussi considérer que les provocations de groupuscules communautaristes et islamistes dans les piscines de cet été (le « burkini ») peuvent être considérées comme annonciatrices de cette séquence.
Celle-ci se caractérise par le mélange, parfois involontaires, parfois fait à dessein, et de toutes les manières jamais innocent de trois questions : celle de la SECURITE, celle de la LAÏCITE (et de la définition des frontières entre « espace public » et « espace privé ») et enfin celle de l’EGALITE entre les hommes et les femmes. Si ces questions peuvent être liées, il convient néanmoins de comprendre qu’elles opèrent dans des registres différents. Leur mélange rend le traitement de ces questions d’autant plus difficile.

LES ERREURS D’EMMANUEL MACRON et la question DE LA SECURITE

Dans son discours du jeudi 13 octobre, Emmanuel Macron a commis plusieurs erreurs. La première a été d’évoquer une « société de surveillance » qui ne peut que trop facilement devenir une société de délation. Et, ce n’est pas en parlant de « surveillance bienveillante », recyclage d’un mot utilisé depuis des années à tort et à travers qu’il a corrigé cette erreur. Mais, cette erreur pâlit devant une, bien plus grave, qui consiste à ne pas désigner clairement l’ennemi. Ce dernier n’est pas une « hydre ». Il est précisément constitué par les groupes affiliés aux « Frères Musulmans » et ceux se réclamant du salafisme djihadiste. En ne désignant pas clairement l’ennemi, il laisse la porte ouverte à l’extension du soupçon à TOUS les musulmans. D’où la farce tragique des propos du Ministre de l’intérieur, le ridicule Séditieux Gaztamère, sur les « signaux faibles ». Il a entraîné des répliques avec la maladroite publication du questionnaire de l’Université de Cergy-Pontoise.
De fait, la désignation explicite des Frères Musulmans et des courants salafistes djihadistes aurait le double avantage de concentrer l’attention sur quelques groupes, de préciser leurs canaux de financement, d’isoler leurs lieux de cultes, et de dégager la responsabilité des autres musulmans. Notons d’ailleurs que si l’expulsion des Imams étrangers « prêcheur de haine » est souhaitable, elle n’est pas nécessaire. Tout Imam, français ou étranger, qui prêche la haine doit être interdit d’exercice et de responsabilité. Cela ne supprimera pas, on le sait, toutes les occasions pour ces individus de tenter de semer la haine, mais cela permettra du moins de réduire significativement leur impact. Ceci impliquerait, pour des longues périodes (5 ans ou 10 ans), un jugement, et pour des périodes courtes des mesures administratives d’éloignement. Bien sûr, une telle désignation explicite de « l’ennemi » aurait des conséquences sur les relations internationales. Elle impliquerait sans doute une mise sous séquestre des investissements dits « sociétaux » de pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite, mais aussi de dresser une liste des ONG étrangères dont les activités seraient placées sous haute surveillance voire, si cela s’impose, interdite sur le territoire français. Tout ceci apparaît comme immensément préférable à l’oscillation actuelle où soit l’on fait peu de choses soit on jette le soupçon sur une partie de la population.
Pour en terminer sur la question des signaux faibles, ceux-ci n’ont de sens qu’à partir d’une analyse du contexte – qui ne peut être faite que par la Police ou les services de Renseignement – et surtout s’ils se combinent. Après tout Séditieux Gaztamère porte lui-aussi la barbe…

QUELLE LAÏCITE FACE A L’ISLAM ?

La deuxième question renvoie à une juste définition de la laïcité et de ses modalités d’applications. Rappelons tout d’abord ici que la loi de 1905 n’est une loi de « laïcité » mais une loi de séparation des églises et de l’Etat, ce qui est UNE des formes d’application que peut prendre le principe de laïcité mais ne constitue pas pour autant le principe lui-même. Rappelons encore que la liberté religieuse et la liberté de conscience sont des points INCLUS dans la laïcité mais qu’ils ne la résument pas. La laïcité, en tant que principe, découle du double constat fait, dès la fin du XVIème siècle, de l’irréductible l’hétérogénéité de la population française et des conséquences tragiques des affrontements religieux quand ils ont lieu dans l’espace publique. Elle découle de l’horreur des guerres de religions, des abominables massacres de la Saint-Barthélemy et de la « Michelade » à Nîmes.
Reconnaissant l’impossibilité d’aboutir à un accord stable, voire à une conversion qui ne soit pas forcée, les hommes de la fin du XVIème siècle, et au premier lieu Jean Bodin auteur de l’Heptaplomeres (1), ont considéré que la solution résidait dans le renvoi du religieux dans la sphère privée, dans le domaine de l’intime et dans son exclusion de la sphère publique. Ce principe est consolidé dans l’égalité politique et juridique qui est reconnue à TOUS les citoyens, dans le Préambule de la Constitution. Ce Préambule proscrit toute distinction, que celle-ci soit basée sur le sexe, la « race » ou la religion. On peut donc légitimement considérer que le principe de laïcité se trouve à l’origine de cette extension qui constitue le « peuple » comme une communauté d’abord politique (2) et que l’on retrouve dans notre Constitution. Il faut donc ici commencer par appliquer STRICTEMENT la loi de 1905 qui dit dans l’article 26 qu’il « :�… est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte » (3). Cela condamne tant les appels à la haine (qui sont politiques) que ceux à désobéir aux lois de la République. Les « prières de rue » tombent, quant à elles, sous le coup de l’article 27 Modifié par Loi n° 96-142 du 21 février 1996 (V) :Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d'un culte, sont réglées en conformité de l'article L2212-2 du code général des collectivités territoriales. �(…).
Ceci étant précisé, il est exact que si les principes de la laïcité concernent TOUTES les religions, il n’en va pas de même de leurs applications, car les religions ne sont pas similaires. Certaines sont centralisées (le Catholicisme) et d’autres décentralisées. Certaines pensent d’emblée la séparation entre le temporel et le spirituel (les différents courants chrétiens) et d’autres – comme l’Islam – intègrent des éléments de droit civil et de droit pénal à leur théologie. L’idée que TOUTES les religions pourraient être traitées par les mêmes règles doit ici être abandonnée, même si les principes doivent conserver leur unité. Chaque religion a ses spécificités et ces dernières imposent que les formes d’application des principes soient eux aussi spécifiques. Trois questions concentrent ce problème d’une adaptation des règles politique à l’Islam :

1- Le rapport au droit et la supériorité du droit républicain sur le droit religieux.
2- La question de la séparation du « monde du religieux » et du « monde civil » avec en particulier la question de la vie des apostats (qui doit être protégée comme contrepartie à la liberté religieuse) et de la libre critique, tout injuste qu’elle puisse paraître (et parfois être) des idées et des mythes religieux (comme celui du prophète).
3- La question des formes de propagandes implicites, en particulier au travers de l’habillement.

Ces points sont importants. Ils seront déterminants pour que la religion musulmane puisse être traitée de la même manière que l’ensemble des autres religions. Ils ne sont pas contradictoires avec les principes de liberté individuelle. Pour s’en convaincre, il suffit de relire ce qu’écrivait au XVIIème siècle John Locke, un des pères du « libéralisme » dans son « Essai sur la Tolérance » : «Il est dangereux qu'un grand nombre d'hommes manifestent ainsi leur singularité quelle que soit par ailleurs leur opinion. Il en irait de même pour toute mode vestimentaire par laquelle on tenterait de se distinguer du magistrat [comprendre l'autorité civile] et de ceux qui le soutiennent ; lorsqu'elle se répand et devient un signe de ralliement pour un grand nombre de gens…le magistrat ne pourrait-il pas en prendre ombrage, et ne pourrait-il pas user de punitions pour interdire cette mode, non parce qu'elle serait illégitime, mais à raison des dangers dont elle pourrait être la cause?» (4). Ceci pourrait fournir la base d’une action raisonnable contre des formes d’habillement qui constituent, en réalité, des formes de propagande religieuse (comme le port du « burkini » en piscine (5)) ainsi que des formes d’intimidation sur les autres croyants, stigmatisés alors comme « mauvais croyants » voire apostats. Ces limitations ne sont pas contraires, ainsi que le prétendent certains, au droit européen (6). Il est intéressant de constater que la Cour Européenne des Droits de l’Homme à pris position sur ce point. La Cour Européenne des Droits de l’Homme érige ainsi en principe premier le devoir de l’État de régler les relations avec les religions : compte tenu de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière, la Cour a en outre dit que l’ingérence pouvait passer pour « nécessaire dans une société démocratique » au regard de l’article 9 § 2 de la Convention. En particulier, elle a considéré QU’ON NE POUVAIT FAIRE ABSTRACTION DE L’IMPACT QUE POUVAIT AVOIR LE PORT DE CE SYMBOLE, SOUVENT PRESENTE OU PERÇU COMME UNE OBLIGATION RELIGIEUSE CONTRAIGNANTE, SUR CEUX QUI NE LE PORTAIENT PAS, et qu’à ce titre il y avait dans le port du symbole une menace pour ceux qui ne le portaient pas (7).

LA QUESTION DE L’EGALITE

Mais, cette question des tenues vestimentaires, tout comme celle du refus de la mixité dans les espaces publiques (comme les piscines) ne relève pas seulement de la propagande religieuse dans l’espace public, ce qu’interdit la loi de 1905. Ce sont aussi des marqueurs de la tentative d’imposer un « APPARTHEID SEXUEL » dans la société.
Quand des parents se refusent à envoyer leur fille à la piscine, quand ils incitent leur garçon à ne pas serrer la main des filles, quand on prône des vêtements très distinctifs pour les femmes (et parfois aussi pour les hommes) l’enjeu est aussi d’imposer à la société une « séparation » des sexes dont on comprend aisément qu’elle implique une inégalité politique et civile de ces derniers.
Sur ce point, et il faut le rappeler, il y a contradiction avec le préambule de notre Constitution. Ce qui est donc en cause dans la tolérance ou l’interdiction de ces tenues vestimentaires est donc bien la question de savoir si nous sommes fidèles aux principes fondateurs de la République ou si nous acceptons la lente dérive vers l’« APPARTHEID SEXUEL ». La question des tenues vestimentaires va donc plus loin que la simple question d’une forme de propagande religieuse « par le fait » dans la sphère publique. Elle est susceptible de mettre en cause un des principes de notre société.
Globalement, et contrairement à ce que prétendent certains, la Cour Européenne des Droits de l’Homme précise que L’ETAT EST EN DROIT DE LIMITER LE PORT DU FOULARD ISLAMIQUE si cela nuit à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui (8). La question, ici, d’une possible interdiction générale du voile n’est plus du domaine du « principe » mais de l’opportunité.

SUR LA QUESTION DE L’ISLAMOPHOBIE

Il reste une dernière question, c’est celle qui concerne ce que l’on appelle « l’islamophobie » et son assimilation au racisme. Il est clair que des racistes utilisent l’islamophobie pour camoufler leur racisme. Mais, faire cette assimilation reviendrait à interdire les transports ferroviaires au principe que les nazis ont utilisés des trains pour conduire les déportés dans des camps d’extermination.
L’islamophobie, comme son nom l’indique est une crainte, une peur, des idées de l’Islam. Elle ne s’attaque pas aux êtres mais aux idées. Or, la plus grande liberté doit être de mise en ce qui concerne les idées, même si cette liberté entraîne des critiques qui peuvent être considérées comme injustes. La caricature et, au-delà, la satire sont de vieilles traditions françaises qui ont, l’une et l’autre, plusieurs siècles. La notion de liberté de la presse est ainsi fondamentale et, rappelons-le, il ne peut y avoir de délit de blasphème. Par contre, il convient d’être vigilants en ce qui concerne les atteintes aux personnes et, ici, de distinguer soigneusement, ce qui relèverait d’une attaque concernant l’être des personnes, qui doit être prohibé, de ce qui relèverait du « faire » de cette personne où cette fois ce sont des actions qui sont en cause. Ces distinctions entre idées/personnes et entre être/faire sont trop souvent ignorées, soit par méconnaissance soit à dessein. En effet, il est de l’intérêt des islamistes radicaux, et plus généralement de l’intégrisme politique, de faire la confusion entre ces différents registres. Ainsi, la prétendue assimilation de l’islamophobie au racisme constitue l’un des angles d’attaques de la part des intégristes politiques car ce qu’ils cherchent est avant tout la mise au-dessus de toute critiques le corpus d’idées qui constitue leur religion.

NOTES

(1) Bodin J., Colloque entre sept sçavants qui sont de différents sentiments des secrets cachés des choses relevées, traduction anonyme du Colloquium Heptaplomeres (écrit en latin), de Jean Bodin, texte présenté et établi par François Berriot, avec la collaboration de K. Davies, J. Larmat et J. Roger, Genève, Droz, 1984, LXVIII-591
(2) Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon éditeur, 2016.
(3) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do…
(4) Locke, J., Essai sur la Tolérance, Paris, Éditions ressources, 1980 (1667).
(5) https://www.lagazettedescommunes.com/…/le-maire-peut-il-re…/
(6) Dogru c. France et Kervanci c. France : 4 décembre 2008. Voir aussi SAS c. France 1er juillet 2014.
(7) https://www.village-justice.com/…/tenue-vestimentaire-est-e…
(8) Arrêt Leyla Şahin c. Turquie : 10 novembre 2005 (Grande Chambre).

*

Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.
Version consolidée au 16 octobre 2019

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749&dateTexte=20191016

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