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Vu au macroscope 3
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  • Petite revue d'actualités sur des sujets divers: géopolitique, économie, santé etc.... Le titre est inspiré de l'ouvrage de Joël de Rosnay : "le macroscope - Vers une vision globale" - 1er février 1977 Une introduction à l'étude des systèmes complexes.
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9 octobre 2019

LA FRANCE INSOUMISE FACE A SES DERIVES - Jacques SAPIR - 9/10/2019

 

Dans sa déclaration à France-3/Nord, Adrien Quatennens a indiqué quelle sera la position, ou plus exactement l’absence de position de la France INSOUMISE pour les élections municipales de 2020. Il est aujourd’hui utile de revenir sur la trajectoire qui a entraîné un « mouvement » de la position de premier opposant à la politique d’Emmanuel Macron à cette relative insignifiance. La question n’étant pas de juger spécifiquement les fautes des uns et des autres mais plus de comprendre ce qui s’est alors passé.

LA SIGNIFICATION DE LA DECLARATION DE QUATENNENS

Adrien Quatennens, député de la FI a donc déclaré sur FR-3-Nord que son mouvement n’avait pas l’intention de présenter des listes en son nom aux élections municipales mais qu’il s’engerait, appuierait, soutiendrait ou participerait à des « dynamiques » visant l’implication du « plus grand nombre » et ce par « des méthodes novatrices ». Il a confirmé ces déclarations par un tweet du 6 octobre. Au-delà de la langue de bois utilisée, se pose la question fondamentale du « pourquoi » d’une telle position. En effet, normalement, les élections municipales sont un passage obligé pour toute formation politique car elles permettent à cette dernière de rechercher un enracinement local – essentiel à la stabilisation de son potentiel électoral – et de jauger de sa situation politique.
Si nous étions dans une dynamique clairement offensive, l’idée d’un dépassement de la FRANCE INSOUMISE pourrait se discuter. Relevons cependant que la FI est elle-même un « dépassement » du Parti de Gauche dans le cadre de la campagne de Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle de 2017. Deux « dépassement » en deux ans, avouons que cela fait beaucoup…Mais, surtout, la situation n’est pas la même qu’en 2017. Le flot politique ne « porte » pas la FI ou un mouvement qui se serait aggloméré autour d’elle. La mobilisation des Gilets Jaunes perdure assurément ; elle est cependant très loin des niveaux de mobilisation qui était les siens de novembre 2018 à mars 2019. De nouvelle mobilisations existent, sur l’environnement (avec l’incendie de LUBRIZOL) et aussi autour de la Police et des forces de l’ordre. Pour l’instant, elles restent très loin en nombre de ce qu’a pu être la mobilisation des Gilets Jaunes à son plus haut étiage.
On est donc porté à penser que la déclaration de Quatennens, loin de s’inscrire dans une logique offensive, vise à couvrir d’un langage – légèrement ampoulé et amphigourique – une logique profondément défensive. La FI ne veut pas prendre le risque d’un nouvel échec, après celui, cinglant, des élections européennes. Elle ne propose pas non plus, et on le comprend parfaitement, un discours du type « union des gauches », car les gauches organisées hors la FI, que ce soit les reliquats du PS, les débris de GENERATION et des Hamonistes, voire le PCF, ne peuvent plus être comprises comme des forces de « gauche ». Certain, parmi les responsables locaux de la FI qui m’accordent leur amitié, voudraient y voir un retour vers la ligne « d’union du peuple » qui était celle de la campagne de 2017. Espérance noble, mais – pour l’heure – espérance vaine ; la ligne « d’union du peuple » était structurée autour d’un programme, l’Avenir En Commun, que l’on pouvait critiquer sur certaines idées ou certaines formulation, mais dont on devait bien admettre qu’il avait une certaine cohérence. Or, ce programme est-il encore opérationnel ?
Un programme qui est opérationnel, et ce n’est pas une vague ligne d’union des luttes, ligne qui ne peut constituer qu’une tactique, peut se décliner au niveau local et municipal, que ce soit autour des propositions écologiques, des propositions économiques ou des propositions concernant la démocratie. C’est ce qui aurait dû être fait si la FI était encore ce qu’elle était en 2017. Or, c’est là où le bat blesse. La FI a connu une involution qui explique largement son score catastrophique aux élections européennes.

LA CRISE DE LA France Insoumise ET LA QUESTION DE LA LIGNE POLITIQUE

Rappelons que Jean-Luc Mélenchon avait réuni sur son nom près de 20% des suffrages lors du premier tour de la présidentiel. Que ce résultat avait été en un sens confirmé par l’élection législative où la FI avait pu faire élire assez de députés pour constituer un groupe parlementaire, un objectif qui semblait à de nombreux cadres comme inatteignable avant qu’il ne soit atteint.
Ajoutons que, durant l’été, l’automne et le début de l’hiver 2017 la FI, par le travail remarquable de ses députés, leur pugnacité, mais aussi leur compétence qui tranchait sur le marais informe de l’incompétence grise des députés LAREM, avait réussi à se présenter comme le premier des adversaires d’Emmanuel Macron, et une potentielle alternative.
La crise interne du RN qui se remettait mal du gâchis de l’entre-deux tours, la déroute des « Républicains », sonné par la défaite de leur candidat, aidait, c’est incontestable. Mais, le fait même que la FI avait toujours le vent en poupe était aussi la preuve de sa vitalité intrinsèque. Cette vitalité ne pouvait cependant cacher des désaccords profonds au sein des cadres du mouvement, et l’instabilité d’une ligne politique qui était souvent confondue avec la tactique. Ces désaccords éclatèrent au printemps 2018 et aboutirent à la crise interne de l’automne 2018.
Cette crise a mis aussi en lumière les pratiques organisationnelles troubles de la FI, combinant un manque de transparence avec des pratiques népotistes. Cela fut dénoncé par certains. On ne reviendra pas sur la vague de départs, mais aussi d’exclusions, que la FI a connue. On ne reviendra pas, non plus, sur les mauvaises manières de Jean-Luc Mélenchon, couvrant d’insultes certains de ses compagnons. Même si dans ces cas souvent la forme préjuge du fond, c’est bien sur ce dernier qu’il faut se concentrer.
Un petit groupe de cadre a cherché à acter la mort de la ligne « d’union du peuple » au profit de celle d’une vague union des gauches associée à celle d’une union de « tout ce qui bouge », y compris quand « ce qui bouge » le fait sur des bases communautaristes. Le « gauchisme », au sens originel du terme, celui qu’utilisait Lénine, a ainsi progressivement pris le pouvoir dans la FI. Ceci a été possible par la confusion constante entre tactique et options stratégiques. Ce que l’on appelle « l’union du peuple » était un vrai concept stratégique.
Que l’on veuille, tactiquement, jouer la carte d’une « union des gauches » pour tenter d’étouffer ce qui restait du PS, était certes tentant. Mais, outre que la mise en place de cette tactique devait être pensée avec les objectifs stratégiques – ce qui ne fut pas fait – les chances de réussite restaient maigres. Les résidus du PS se repliaient sur leur base sociale. Le résultat fut un grand trouble politique au sein de la FI, trouble qui s’avéra fatal lors du déclenchement du mouvement des Gilets Jaunes.
Ce dernier surprit la direction de la FI qui réagit rapidement – et c’est un bon point – et positionna le mouvement en soutien à cette mobilisation. Mais, ayant oublié l’impératif « d’unir le peuple », ce soutien pris progressivement la forme d’une tentative d’imposer des revendications strictement « FI » voire gauchistes au mouvement.

La concentration des revendications sur la protestation contre les violences policières – ces dernières étant indiscutables et d’un niveau qui n’avait pas été atteint depuis des décennies – a contribué à replier le mouvement sur lui-même. Cela a contribué à son affaiblissement progressif, en plus de l’usure du mouvement. La voie de revendications liant celles des Gilets Jaunes à la question de l’Union Européenne et de l’Euro ne fut pas suivie. Elle aurait pu donner un véritable débouché politique au mouvement des Gilets Jaunes. Mais, une option ouvertement anti-UE, et disons le mot, souverainiste, était incompatible avec le cadre choisi par la FI pour ces élections. La stratégie a donc été sacrifiée sur l’autel d’une tactique discutable aux résultats incertains. Le résultat de l’élection, l’effondrement de la FI à 6,6% a été le produit de ces errements.
Il ne faut donc pas s’étonner si certains des députés de la FI, ou plus exactement des députés élus grâce au soutien de la FI, ont dès le résultat annoncé cherché à poursuivre plus avant la ligne de « l’union des gauches » revenant aux vieilles erreurs comme le chien des Ecritures à son vomi. Au-delà de ce que ces comportement peuvent nous dire sur les personnes, c’est très clairement le résultat de l’absence d’une ligne politique claire, articulant ce qui relève de la tactique à ce qui relève de la stratégie.

LA FI EST-ELLE COMMUNAUTARISTE ?

Cette question est sans cesse posée sur les réseaux sociaux, voire dans la presse. Il est clair que la réponse est non. Mais, il est aussi clair qu’il y a des communautaristes au sein de la FI et que ces derniers bénéficient d’une tolérance inquiétante, et même coupable, de la part de certains dirigeants. On en a eu un exemple lors des universités d’été de la FI (les « AmFis ») avec l’incident autour du philosophe Pena-Ruiz. Ce dernier était venu participer à l’atelier « laïcité » et il avait expliqué en quoi le terme d’islamophobie ne pouvait et ne devait faire scandale. Il s’en est expliqué par ailleurs (1). Cela a été utilisé par certain, dont le journaliste Taha Bouhafs, pour provoquer un incident.

Benoît Schneckenburger, lui-même philosophe, en a rendu compte sur son blog (2) : « Pour moi l’ignominie a été atteinte lorsqu’un invité des mêmes AmFis, Taha Bouhafs, plutôt que de débattre, plutôt que de vérifier la véracité de la citation attribuée à Henri Peña-Ruiz alors qu’il se targue d’être journaliste, a cru bon de souhaiter sa mort prochaine par la canicule ». Il ajoute alors : « Apercevant cet individu, je lui ai fermement fait remarquer que ‘son tweet était inacceptable, qu’on ne pouvait souhaiter la mort d’un camarade’. Point. Ce dernier l’ayant mal pris, ses amis m’entourant et l’un d’entre eux me repoussant, j’ai pris le parti de reculer, et le service d’ordre du mouvement s’est interposé sans aucunement prendre parti, pour que tout revienne au calme.
Cette scène ayant eu lieu dans l’espace public des AmFis, près de journalistes, s’il y avait eu violence physique de ma part, on l’aurait immédiatement vu et su.

Les choses auraient pu en rester là. Pourtant au fur et à mesure de la journée Taha a peu à peu fait circuler l’idée que je l’avais agressé et qu’il me cherchait, certains absents des AmFis relayant même relayé l’idée d’une violence physique. Par sens des responsabilités, j’ai fait en sorte de ne pas le croiser, et bien m’en a pris puisque allant tout de même chercher à manger à l’extérieur, je le croise alors qu’il est accompagné de participants à sa table ronde et il s’avance immédiatement vers moi, pour m’insulter de « vermine raciste ». Je laisse juge chacun de déterminer où est la violence : dans la parole de celui qui fait une distinction sémantique, qui peut toujours être discutée ; dans le fait de condamner celui qui se réjouit à l’idée de la mort d’un universitaire ou dans le fait de souhaiter cette mort ? ».
Cet incident a donné lieu à un communiqué de la FI dans le plus pur style « chêvre-chou » (3). La difficulté de la FI à prendre une position claire sur cette question, la dérive de certains de ses membres, est le signe que des tendances communautaristes existent à l’intérieur du mouvement, qu’elles sont organisées et que, pour des raisons essentiellement tactiques, la direction du mouvement ne veut pas trancher. Or, cette question repose celle du rapport entre la tactique et la stratégie. En effet, conçoit-on le « peuple » comme un corps politique, uni dans son affirmation même s’il est traversé par des lignes fractures décisives (la question de l’exploitation en particulier) et qui est organisé par des institutions permettant de gérer ces fractures et ces oppositions ou bien conçoit-on le « peuple » comme un ensemble de « communautés » susceptibles d’avoir leurs lois en propre. La première vision renvoie à l’imaginaire « républicain », un imaginaire qui d’ailleurs s’est constitué bien avant que la République n’existe. La seconde vision renvoie à un imaginaire féodal, voire à un imaginaire « impérial ».

Que, pour des raisons de simple tactique la FRANCE INSOUMISE puisse hésiter entre ces deux visions en dit long sur les errements dans lesquels elle se complait.
Cela renvoie aussi au tournant « gauchiste » pris par la FI depuis le mouvement des Gilets Jaunes, ce même tournant qui conduit Jean-Luc Mélenchon à parler de « barbares » pour désigner la police, sans faire de distinction (car il existe à l’évidence « des » barbares dans les forces de l’ordre) ni surtout pointer la responsabilité essentielle de la chaîne hiérarchique. C’est cette même dérive qui a conduit et la FI et Jean-Luc Mélenchon à être relativement silencieux face à l’attentat commis à la Préfecture de Police de Paris (4) et à ne pas prendre clairement position par rapport à la « manifestation » de soutien à l’assassin.

UNE IMPASSE POLITIQUE

Il est clair que la FRANCE INSOUMISE se trouve aujourd’hui dans une impasse politique, dont les conséquences électorales sont désastreuses. Elle l’a reconnu implicitement par sa position sur les élections municipales à venir. La question de savoir si elle saura trouver en son sein les forces, et le courage nécessaire, pour en sortir est posée. Mais la question de la construction d’une force alternative à la FI, sur des bases clairement de gauche, c’est à dire aussi clairement laïques et clairement républicaines, est aussi posée. De fait, ces deux questions sont liées car l’involution de la FI a conduit de nombreux militants et cadres à la quitter, mais la construction d’une alternative peut être aussi un facteur concourant à la régénération républicaine de ce mouvement.

NOTES

(1) Henri Peña-Ruiz: «La critique d’une religion, quelle qu’elle soit, n’est pas un délit», in FIGAROVOX http://www.lefigaro.fr/…/henri-pena-ruiz-la-critique-d-une-…
(2) Benoît Schneckenburger, « Mise au point. AmFis 2019, polémique avec T. Bouhafs », https://philosophie-politique.fr/…/mise-au-point-amfis-201…/
(3) La France insoumise : un mouvement Farouchement républicain, laïque et antiraciste. Communiqués de presse, 29 août 2019. (https://lafranceinsoumise.fr/category/actualites
(4) Voir l’interview qu’il a donné à LCI le lundi 7 octobre, https://www.lci.fr/…/replay-video-municipales-a-marseille-d…

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